Ses débuts sur le parquet de Chicago
Né en 1949 à Chicago, Richard J. Dennis grandit dans une famille modeste du quartier de South Side. Très tôt, il s’intéresse à la bourse et aux matières premières, fascinées par l’agitation du Chicago Mercantile Exchange (CME).
À seulement 17 ans, il obtient un poste de coursier sur le parquet du Chicago Board of Trade (CBOT), transportant des ordres entre les traders et les salles de marché.
C’est à cette époque qu’il découvre les mécanismes du trading de contrats à terme et développe un intérêt pour les mouvements de tendance à long terme.
Après ses études à DePaul University, il décide de se lancer à son compte. En 1970, il emprunte 1 600 dollars à sa famille, dont seulement 400 $ serviront à ses premiers trades sur les contrats à terme de soja.
Ce petit capital deviendra, en moins d’une décennie, plus de 300 millions de dollars, faisant de Dennis une légende du marché des commodities.
De 400 dollars à 300 millions : l’ascension d’un stratège
Grâce à une méthode rigoureuse et un contrôle strict du risque, Richard Dennis transforme son petit capital en une fortune colossale, estimée à près de 300 millions de dollars au début des années 1980.
Il gagne le surnom de “Prince of the Pit”, tant sa présence sur le parquet impressionne ses pairs. Contrairement à d’autres traders, Dennis privilégie les positions construites sur plusieurs jours ou semaines, selon des signaux de tendance clairement définis.
Au début des années 1970, le trading de futures est encore peu réglementé, et les marchés de matières premières connaissent une forte volatilité.
Dennis mise sur cette instabilité pour développer une stratégie de “trend following”, ou suivi de tendance, inspirée de la philosophie :
Il constate que lorsqu’un actif dépasse un certain niveau clé — souvent un plus haut des 20 ou 55 derniers jours — cela signale un momentum durable.
Il entre alors sur le marché dans le sens du mouvement, sans chercher à prédire un retournement.
En 1973, après le choc pétrolier et la flambée des prix des matières premières, Dennis multiplie ses gains en suivant mécaniquement les tendances sur le blé, le sucre, le soja et le café.
Sa discipline et sa gestion du risque stricte lui permettent d’accumuler une fortune colossale à un âge où la plupart des traders débutent à peine.
De trader à gestionnaire de fonds
Fort de son succès, Richard Dennis fonde sa propre société de gestion, la Dennis Trading Groupe Inc., à la fin des années 1970.
Il devient un gestionnaire de fonds reconnu. Contrairement à beaucoup de ses contemporains, il ne cherche pas à dissimuler ses méthodes et insiste sur le fait que le trading est un métier de règles, pas de flair. Son approche systématique, fondée sur une logique de tendance, attire l’attention. Il formule et défend l’idée qu’un trader “ordinaire”, avec des règles claires et de la discipline, peut obtenir des résultats comparables à ceux des “experts”.
C’est dans cet esprit qu’il lance en 1983, après un débat avec William Eckhardt, une expérience devenue mythique : les Turtle Traders
Les Turtle Traders
Convaincu que le trading pouvait s’enseigner, Dennis fait un pari avec son ami William Eckhardt, mathématicien et trader.
Eckhardt estimait que le trading relevait d’un instinct inné, tandis que Dennis pensait qu’une méthode et une rigueur quasi sans faille suffisait pour gagner.
Pour trancher le débat, ils recrutent 23 personnes venues d’horizons très différents — ingénieurs, joueurs de blackjack, programmeurs, comptables, et même un garde forestier — puis leur enseignent pendant deux semaines un système de trading mécanique fondé sur le suivi de tendance.
Le nom « Turtles » vient de la remarque de Dennis après avoir visité une ferme d’élevage de tortues à Singapour : il disait vouloir “élever des traders comme on élève des tortues”.
Les règles enseignées étaient claires : acheter quand un marché franchit un nouveau plus-haut (ex. 20 ou 55 jours), vendre ou sortir quand le marché casse un plus-bas prédéfini. Utiliser la volatilité pour dimensionner les positions, sécuriser une part de la position en cas de succès (pyramiding) et couper rapidement les pertes.
Le résultat fut spectaculaire : en seulement quatre ans, la plupart des “tortues” génèrent des rendements annuels de 80 à 100 %, prouvant que la méthode de Dennis fonctionnait.
Selon les estimations, les Turtles générèrent plus de 175 millions de dollars de profit sur cinq ans.
Cette expérience reste l’une des plus célèbres de l’histoire du trading et plusieurs apprentis, comme Jerry Parker, devinrent même des gestionnaires à succès.
Une stratégie de suivi de tendance (expliquée simplement)
1. Les fondements
La philosophie de Richard Dennis repose sur une idée clé :
“Les marchés suivent des tendances, il suffit d’apprendre à les reconnaître et à les suivre sans émotion.”
Son système, inspiré de la théorie du breakout, consiste à :
-
Acheter lorsque le prix dépasse un plus haut des 20 ou 55 derniers jours ;
-
Vendre lorsque le prix casse un plus bas des 20 ou 55 derniers jours.
Les trades ne sont donc jamais basés sur une prévision, mais sur une confirmation.
Le système est purement mécanique et statistique, ce qui permet d’éliminer l’influence des émotions.
2. Gestion du risque et du capital
La gestion du risque était le cœur du système de Dennis.
Chaque position était calibrée pour ne jamais risquer plus de 1 à 2 % du capital total.
Les Turtles utilisaient une mesure appelée N, représentant la volatilité moyenne du marché (souvent calculée sur 20 jours).
Cette valeur permettait d’ajuster la taille des positions : plus la volatilité était élevée, plus la taille du trade était réduite.
De plus, les ordres stop-loss étaient systématiques.
Chaque position était protégée par un stop fixé à 2N en dessous du point d’entrée (pour un achat) ou au-dessus (pour une vente à découvert).
Les pertes étaient rapidement coupées car en cas de baisse du marché, les positions perdantes étaient rapidement liquidées.
Ainsi, aucune perte individuelle ne pouvait ruiner le portefeuille.
3. Sorties et gestion des profits
Les positions étaient conservées tant que la tendance restait intacte.
La sortie s’effectuait soit sur un retournement de tendance (rupture d’un plus bas sur 10 ou 20 jours), soit lorsque le stop-loss était atteint.
Cette approche permettait de laisser courir les gains tout en coupant rapidement les pertes.
Dennis affirmait souvent :
“Les traders perdent parce qu’ils veulent avoir raison, pas parce qu’ils perdent de l’argent.”
Sa méthode reposait sur la probabilité et avant tout sur la gestion du risque, non sur la prédiction.
La fin de carrière et l’héritage
La fin des années 1980 marque un tournant.
Dennis subit d’importantes pertes en 1987 lors du krach boursier, conséquence d’un effet de levier trop important.
Il ferme son fonds peu après, avant de revenir brièvement dans les années 1990, puis de se retirer définitivement de la gestion active.
Il se consacre ensuite à la philanthropie et aux causes politiques progressistes, tout en conservant son influence dans la culture financière.
Malgré ces revers, son influence reste immense.
Les Turtle Traders comme Jerry Parker, Curtis Faith ou Paul Rabar ont fondé leurs propres fonds, reprenant ses méthodes et les adaptant aux marchés modernes.
Aujourd’hui, les stratégies de trend following sont encore utilisées par des institutions et hedge funds majeurs, notamment via des systèmes quantitatifs.
À Louise Luque, qui, par un simple livre, a fait naître ma curiosité pour le trading et m’a conduit sur les traces de Richard Dennis. Sans ce geste, Turtle Analytics n’existerait sans doute pas.
Ajouter un commentaire
Commentaires
Très intéressant, tout à fait accessible. L’origine du nom Turtle ! Et puis un millionnaire qui a des activités philanthropiques c’est fascinant et enthousiasmant